Aller au contenu principal

Rosalind Franklin, la femme de tête

Rosalind Franklin n'a rien d'une scientifique standard. Brillante, intransigeante, singulière, elle a significativement contribué à l'une des plus grandes découvertes du XXe siècle, celle portant sur la structure de l'ADN. Pourtant, elle incarne le triste symbole de la femme oubliée dans le panthéon de la science.

C'est l'histoire de Rosalind Franklin, une chercheuse passionnée, un être mystérieux, une femme de tête.


Son amour de la science

Rosalind Elsie Franklin nait à Londres le 25 juillet 1920. Issue d'une riche et influente famille juive, la deuxième d'une fratrie de cinq enfants fait preuve, dès son plus jeune âge, «d'une alarmante intelligence».

À 16 ans, la jeune Anglaise est déjà passionnée par la chimie, la physique et les mathématiques, et elle remarque que les sciences sont enseignées différemment selon le genre des élèves, les femmes recevant un enseignement axé sur la minutie, la propreté et la répétition plutôt que sur l'audace et l'amour de la science. Ce dont Rosalind ne manquait pourtant pas.

Rosalind amorce ses études de chimie en 1938 au Newnham College, un collège exclusivement féminin faisant partie de l'Université de Cambridge. La prestigieuse institution accepte les étudiantes en ses murs depuis 1869, mais refuse, à cette époque, de les considérer comme des membres à part entière de l'université.

La femme de 18 ans fait ses preuves en cristallographie par diffraction des rayons X, technique qui deviendra sa spécialité, notamment grâce à son extraordinaire capacité de penser en trois dimensions. Plus tard, un collègue de Rosalind dira qu'elle est également dotée de "golden hands" pour le travail en laboratoire.

Avec le temps, la science dépasse la passion pour devenir une véritable foi. Dans une longue lettre destinée à son père datant de 1940, elle étaye d'ailleurs son attachement à la science en la comparant à une croyance religieuse.
 

La femme derrière la scientifique

L'image d'une femme austère et solitaire a suivi Rosalind Franklin tout au long de sa vie, et depuis sa mort. Pourtant, plusieurs personnes l'ayant côtoyé au fil du temps, particulièrement à l'extérieur de la Grande-Bretagne, la décrivent comme une femme enjouée et souriante.

Après avoir obtenu son doctorat de l'Université de Cambridge en 1945, elle traverse la Manche pour aller travailler au Laboratoire central des services chimiques de l'État, à Paris. Ces quatre années passées dans la Ville lumière prendront des allures d'eldorado. Elle y développe des amitiés durables, en plus de se forger une réputation scientifique d'envergure internationale. Elle s'y sent respectée et traitée d'égal à égal, sans aucune condescendance de la part de ses collègues masculins.
 

Ses débuts à King's College

En 1950, Rosalind Franklin décroche un poste au King's College, à Londres. Son patron, J. T. Randall, lui confie la tâche de travailler sur la structure de certaines fibres biologiques, telles que l'acide désoxyribonucléique (ADN).

L'intérêt soudain pour cette molécule vient du fait que sept ans plus tôt, les scientifiques Oswald Every, Colin MacLeod et Maclyn McCarty ont prouvé que c'est l'ADN, et non pas la protéine, comme on le croyait au départ, qui transmet les attributs héréditaires. Cette découverte mène à d'autres questionnements, car la molécule d'ADN est immensément plus simple qu'une protéine. Les scientifiques cherchent donc à comprendre comment une substance aussi peu complexe permet une telle diversité d'organismes vivants.

Lorsque Rosalind Franklin arrive à King's College, elle se retrouve au cœur d'une course à laquelle sont conviés parmi les plus brillants chercheurs de l'époque afin d'élucider le mystère de la structure de l'ADN.

Rapidement, les caractères opposés de Rosalind Franklin et de son collègue Maurice Wilkins se font sentir. De nature plutôt discrète, il évite les confrontations, alors qu'elle prend plaisir à débattre. Les relations entre les deux s'enveniment encore davantage lorsqu'ils n'arrivent pas à s'entendre sur leurs rôles respectifs dans les recherches portant sur la structure de l'ADN.

Frustré par des résultats peu concluants, Maurice Wilkins voit un confident en son vieil ami Francis Crick, chercheur à l'Université de Cambridge. À défaut de pouvoir discuter avec sa collègue à King's College, il confie ses résultats de recherche au chercheur de Cambridge, croyant qu'il ne travaille pas sur l'ADN.

Entre 1951 et 1953, Francis Crick et James Watson, ainsi que Linus Pauling proposent tour à tour une hypothèse sur la structure de l'ADN, dans les deux cas inexactes, car prenant trop peu en considération les données expérimentales connues de la molécule. Des postulats aberrants, «un travail bâclé», selon Rosalind Franklin, pour qui la rigueur est essentielle.
 

La fameuse photo 51

En mai 1952, elle réalise la meilleure photographie jamais prise d'une molécule d'ADN en cristallographie par diffraction des rayons X. C'est la fameuse photo 51, qui illustre clairement la structure hélicoïdale de l'ADN. Il s'agit, certes, d'un résultat concluant aux yeux de Rosalind, mais qui n'élucide qu'en partie le mystère de la structure de l'ADN. En effet, la photo 51 ne présente qu'une représentation partielle de la structure de l'ADN, et elle souhaite détenir tous les faits vérifiés avant de publier quoi que ce soit.