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La vie sans sexe, histoire d’une plante émigrante

Comment la même espèce de plante se retrouvant dans deux régions géographiques peut-elle présenter une composition génétique différente? Petit récit de l’anthocérote Nothoceros aenigmaticus, une espèce à reproduction asexuée, et de sa vulnérabilité face aux changements environnementaux.

Le sexe est répandu dans l’arbre de la vie. La reproduction sexuée, c’est-à-dire le mariage entre une cellule sexuelle mâle et une cellule femelle, est très importante pour la survie et la maintenance de toutes les espèces complexes.  

Toutefois, une reproduction asexuée, comme la clonalité, est aussi observée chez certaines plantes. Ce mode de reproduction crée ainsi des individus génétiquement identiques.  

L’anthocérote Nothoceros aenigmaticus fait partie des espèces n’étant pas dotées de reproduction sexuée. Ses organes mâles (anthéridies) ne développent pas de spermatozoïdes fonctionnels. Pour rencontrer cette variété, on peut se rendre dans les Appalaches du Sud (aux États-Unis), au Mexique, ainsi qu’au sommet des montagnes de l’Amérique tropicale pouvant dépasser les 3 000 mètres. Aux États-Unis, environ 30 kilomètres de montagnes et de bassins versants séparent les plantes mâles et femelles. Cette espèce pousse sur les roches de plusieurs bassins des rivières Tennessee et Alabama, hébergeant soit des plantes mâles, soit des plantes femelles.

Ces observations ont fait naitre plusieurs questions évolutives: quelle est la cause de la perte du sexe de l’espèce dans les Appalaches du Sud et pourquoi seuls les bassins adjacents partagent-ils une composition génétique similaire?

La chercheuse postdoctorale Marta Alonso García, membre de l’équipe de Juan Carlos Villarreal A., professeur au Département de biologie, s’est intéressée à ce phénomène au cours d’une étude à laquelle elle a collaboré récemment. Ces questions étaient au cœur des travaux de recherche visant à comprendre la vulnérabilité de l’espèce aux changements environnementaux.  

Son article «Alonso-Garcia M, Villarreal JC, McFarland K and Goffinet B (2020). Population Genomics and Phylogeography of a Clonal Bryophyte with Spatially Separated Sexes and Extreme Sex Ratios» a été publié dans le journal Frontiers in Plant Sciences.  

Bien qu’il soit quasi impossible de répondre à la première question puisqu’on estime que les facteurs environnementaux n’étaient pas favorables à l’espèce à l’origine, on peut affirmer avec plus de certitude que le mélange des génotypes entre les bassins adjacents a probablement été causé par les glaciations du Pléistocène il y a plus de 18 000 ans.  

Pour répondre à ces interrogations, l’équipe a utilisé des données génomiques de centaines d’individus de la région des Appalaches du Sud afin de découvrir l’origine, confirmer l’isolement génétique et l’absence de reproduction sexuée chez l’anthocérote Nothoceros aenigmaticus ayant émigrée aux États-Unis il y a 60 000 à 80 000 ans, bercée par ses ancêtres mexicains.  

Longue distance

Les analyses génomiques confirment l’isolement des populations américaines et l’absence de contact entre les populations mâles et femelles, sauf entre bassins adjacents. Les résultats sont, tout comme le nom de l’espèce, assez intrigants.  

Les glaciers ont transformé le paysage et l’effondrement de la glace rendit possible l’échange entre bassins voisins. Ce résultat n’est pas exclusif à l’anthocérote. Il y a ainsi, des cas similaires chez les poissons des Appalaches du Sud. Il est possible que la même chose se soit produite pour Nothoceros aenigmaticus. L’étude contient des implications pour la conservation: l’espèce n’a pas de reproduction sexuée et se multiplie d’une façon clonale.  

Par conséquent, on peut affirmer que l’espèce est vulnérable aux changements environnementaux, qu’ils soient humains ou naturels.

Nous vous invitons à consulter l’article pour en savoir plus.

Carte indiquant les sites d'échantillonnage